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Extramadura
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24 janvier 2013

La conteuse

Sortir, prendre ma voiture, traverser d'autres lieux me fait du bien.
Nous sommes dans les jours les plus froids de l'année, ceux qui sont au-dessous de zéro, ceux où la grisaille envahit tout, décore les paysages,  où le blanc du givre gomme toutes nuances, et ne laisse que blancs ou gris légèrement cassés.
Le brouillard transperce et égare.
De loin, de très loin viennent des petites lumières en guirlandes multicolores. Non, ce ne sont pas les flambeaux des porteurs de lumières, des randonneurs des solstices. Mais les enluminures des frontons, des façades, guirlandes arachnéennes qui relient les pignons dans les rues et les venelles, intermittentes, clignotantes, vacillantes.
Percer le froid, percer la nuit, guider non pas le voyageur égaré, mais le consommateur avide ou désabusé.
Chez nous, la rue est en travaux depuis trois mois déjà. Pas de jours sans pelleteuses mécaniques ou marteaux piqueurs qui trouent, défoncent, éventrent, révèlent la nudité, les faiblesses, la fragilité du réseau adducteur.  Parfois c'est un ancien puits qui est mis à jour, sorte de bouche circulaire, vite défoncée, perforée, recouverte, méconnaissable en quelques secondes, engloutie par le progrès.
Bientôt la vie jaillira à flot dans chaque maison: eau courante, froide ou chaude, chauffage au gaz, câblages divers, et les résidus iront enfin rejoindre souterrainement la station épuratrice.

Bientôt une nouvelle livrée urbaine: magnifique pavage semi-piétonier sensé faciliter l'accès aux handicapés moteurs, accueillant un stationnement unilatéral au nom poétique d'"écluse".
En attendant une chaussée à peine carrossable, mi-terreuse, mi-sablonneuse, un bourbier par temps pluvieux, un champ de mines et de tranchées ouvertes dès qu'une entreprise nouvelle prend la suite de la précédente adjudicataire et des interminables travaux. Combien de partenaires différents se partagent-ils les 500 malheureux mètres rectilignes livrés à l'impitoyable forage?
S'il y avait au moins un trésor caché dans leurs entrailles impudiquement exposées à la vue du badaud déçu.

Ce chantier permanent a installé les petits rongeurs dans nos foyers, fuyant les canalisations détruites, ils envahissent nos placards, nos buffets, nos combles et nos greniers, aucun "branle-des-rats" n'arriverait à les effrayer et à les ramener vers leur séjour premier dans la nature, surtout par de pareilles températures!

J'ai pris un bain parfumé d'essence de lavande, pour réchauffer, détendre et assouplir mes muscles endoloris et tétanisés, j'ai oins ma peau d'huile d'amande douce, frotté la plante de mes pieds au talc, je me suis vêtue douillettement.
Je rejoins mon véhicule stationné sur une place, plus loin, à l'abri de la poussière dégagée par les incessantes allées venues des engins mécaniques.
Un bruit étrange au démarrage comme un crissement, un froissement, est-ce dû au givre?
Ne pas aller trop vite pour ne pas déraper sur l'enrobé, faire très attention dans les virages en particulier. La brume dissimule les contours exacts du paysage et rend incertaines les limites des acôtements. Cette grisaille, gamma exacerbé, absence de contraste et de pigmentation, nivelle tout.
J'aperçois cependant quelques grandes bâtisses sombres, comme autant de fantômes aveugles et muets, piètres défenseurs des coteaux déboisés et dormants.
"Sont dépouillés de leurs attraits" est la phrase qui me hante, sans que je puisse effacer le charme insolite se dégageant de cet itinéraire cotonneux.

C'est à la nuit que je gravis l'ultime colline qui abrite la demeure de mon médecin, pour accéder à la salle d'attente toujours aussi bondée du praticien.
Je suis encore congelée lorsque je prends place dans le seul coin libre, contre le radiateur. J'y pose mes doigts gourds, j'ai mal.

Dans un moment cependant, je sais que j'étoufferai dans cet univers clos, surchauffé, surpeuplé et cependant étrangement silencieux, que seul le claquement des pages de magazines tournées distraitement habite, ainsi que le gazouillis du liquide dans le circuit fermé du chauffage central. Je suis la seule à le percevoir, concert ravissant émanant de la tuyauterie et de mon univers magique référant. Si semblable au ramage des buissons en été, aux belles heures sous des ciels exempts de nuages. Je ferme les yeux, suis-je dans un jardin zoologique à proximité des volières?
Non, je marche dans un sous-bois, en plein mitan du jour, et je converse avec les oiseaux, rivalisant de trilles et de sifflements avec eux...

 

Tah 21 décembre 06

 

 

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