Bandana Rouge au pays de Silaide (12) Eraze una ves
Elle était cependant parfaitement au courant des risques habituels encourus par les jeunes personnes de son sexe et elle portait sans conviction une alarme censée la protéger d'agressions sexuelles bénignes comme ultimes.
Elle faisait davantage confiance à son bâton de marche convertible très rapidement en poignard ou en épée. Elle avait dompté son aversion pour le sang au cours de son initiation en biologie et en cuisine. Zigouiller ou mutiler un adversaire émoustillé ne lui poserait aucun problème particulier, ni physique, ni métaphysique. Elle n'aurait même aucun besoin de son pulvérisateur lacrymogène ou de son minitaser. C'était bon pour les poules mouillées.
Elle avait une excuse, elle n'avait que des frères et cousins à ses côtés et elle faisait ses délices des exemplaires de Métal hurlant et de Harakiri soigneusement empilés au grenier, jouxtant ceux de l'Illustration, Modes et Travaux, La Vie du Rail, Voie Etroite, Le Chasseur Français, et les catalogues des Manufactures de St Etienne, tous pièces de musée.
S'étant plusieurs fois contemplée, analysée et synthétisée dans la grande psyché de la salle d'eau, elle savait qu'elle n'était pas sosie des amazones, ne serait-ce que parce qu'elle avait bien deux seins, elle savait d'instinct qu'aucun corset moulant, aucune cuissarde de cuir ne la transformerait en Bettie Boop. Il n'y avait en elle rien de pulpeux, de fauve, de félin, de séduisant, d'attirant, d'attachant. Ce n'était qu'une silhouette demeurée enfantine.
Mais elle savait également qu'en cas de pénurie de grives, ce sont cependant les moineaux qui trinquent, et elle ne voulait pas finir sous le cran d'arrêt d'un membre de gang, après avoir été embrochée par une vingtaine de mecs totalement bourrés et camés, ça c'est certain! Donc elle prenait des précautions et elle saurait appliquer des mesures radicales. Sa résolution était fiable, inébranlable: jamais elle ne serait une "Madelon" qui vient servir à boire.
De sa fontaine, personne ne connaîtrait le secret, sauf celui à qui elle ouvrirait la porte des sources...
Un jour, plus tard, tellement plus tard! On a franchement le temps!
Lala pensait seulement, elle remuait les lèvres, mais plus aucun son ne sortait de sa bouche. Elle lisait sur son téléscripteur intérieur l'histoire de Silaide, et celle de "bandana rouge" qui se rejoignaient, qui s'interpénétraient. Bien sûr elle ne pouvait dire certains mots, décrire certains épisodes à sa petite fille, pas encore, ce serait pour une autre fois, beaucoup plus tard, lorsqu'elle reviendrait plusieurs jours à la maison, lorsque réconciliée avec l'apparence de son corps de jeune fille, avec le tumulte de ses pensées anarchiques, indécentes, fantasmatiques, elle épancherait ses peines de coeur dans l'océan pacifié du regard profond de son aïeule.
Pour l'heure, Tanina s'était assoupie doucement sous le ronron de la douce voix de Lala, le pétrole avait baissé dans la lampe, la mèche fumait, l'obscurité léchait les murs. Un ange passait, promenant sa main fraîche sur tous les fronts, remontant la couverture, ou le châle pour que nul ne sente le froid s'installer en son coeur. Couvre-feu, détente, pause. Les obligations se taisaient ou patientaient dans l'ombre tiède.
(à suivre)
KNTHMH 25 Août 2010