L'ombre de la lumière

Zuhri n'avait pas compris ce qu'il lui était arrivé et surtout comment cela lui était advenu!
Comment? un homme aussi rusé que lui s'était-il laissé berner par une petite borgne, aux côtes enfoncées?

Le prédateur, victime!
Le voleur, détroussé!

Elle aurait pu l'égorger en plein sommeil, pourquoi l'avait-elle épargné?
Il cracha par terre: encore une de ces chrétiennes!
Lui ne l'aurait pas loupée!
Ce n'est pas cependant ce qu'il avait fait, c'est pourquoi elle avait eu raison de lui.

Pourquoi avait-il oublié de la désarmer? Il pensait que sa dague était tombée durant la longue chevauchée, il n'avait rien remarqué à son flanc droit lorsqu'il l'avait jetée à terre au bivouac. Comment avait-elle fait?

Elle devait être brave, amochée comme elle était et affamée.

Pourquoi Zeffyr n'avait-il pas henni? Pourquoi ne lui avait-il pas échappé?
Quels secrets connaissait cette sorcière?  Il n'avait rien entendu, rien soupçonné, rien compris.
Seuls étaient demeurés à terre les débris épars du fouet qui l'avait attachée. un bon fouet de cuir solide!
Qui était cette petite sauvageonne?

La colère assombrissait son regard.

Une femme aux cheveux de feu, il aurait dû se méfier, c'était un piège, le diable en personne!
Peux-ton lutter contre le diable?

Cependant, quel tour lui avait joué le malin! c'était donc bien pour ça qu'il l'avait tenté, depuis le fin fond de l'horizon, le laissant la guetter, la faire sienne: pour dérober son cheval, sa fierté, son Zeffyr! C'est à présent lui, Zuhri, l'avisé, qui allait affronter la faim, la soif, la fatigue, l'épuisement, avant d'aborder un campement ou une ville. Peut-être même que le grappin s'acharnerait sur lui, permettant que des vents de sable le fouettent et qu'il en perde sa route!

Récupérer Zeffyr lui paraissait indispensable. Il n'envisageait pas la suite de son voyage sans ce fidèle compagnon, cette infatigable monture, ce royal destrier qui lui avait fait gagner plusieurs courses et l'avait rendu populaire, lui assurait un revenu lorsque les paris montaient.

Comment reprend-on un cheval au diable?
En le battant à son propre jeu.
Pouvait-on jouer contre le diable et ne pas perdre, mieux le faire perdre?

Sous quelle forme se manifesterait-il à lui pour l'empêcher de reconquérir son bien?

Cette "forme" d'enfant, il ne lui avait même pas parlé, il n'avait entendu que la mélodie lointaine qui encourageait ses pas, il serait difficile de la reconnaître, hormis ses cheveux rouges, et son bandeau sur l'oeil droit, si elle persistait à en porter.
Si, il avait eu le temps d'apercevoir son visage et son air effaré avant qu'elle ne lui tombe dessus, un visage déformé par la peur et la haine déjà! la haine de son prédateur.
Il se souvenait vaguement de sa mère et de sa soeur, c'était très lointain, juste avant que leur tribu soit décimée par une campagne sanguinaire de purification ethnique.
Il se souvenait de sa haine contre les assassins, sa haine, sa rage et son impuissance.

N'eut été ce mercenaire qui l'avait recueilli un temps, il serait mort au milieu des sables. C'était cependant à cet épisode cruel au souvenir si pénible, qu'il devait d'avoir connu instruction, éducation, et d'avoir acquis un goût certain pour les sciences, comme une certaine approche des forces maléfiques.
C'est la raison pour laquelle il attribuait la ruse de Taheyyâtt à une manifestation du diviseur diabolique.

Et il rassemblait tous les souvenirs des enseignements de ses anciens maîtres pour se préparer à la lutte impitoyable contre le Prince des ténèbres.


Tahheyyât 6 février 2010; 00:11

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