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Extramadura
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29 octobre 2007

Etrange étrangère

Tu montes, toujours suivre le front de mer, remonter vers le nord-est, la voie la plus à droite, en tous cas.
Tu ne sais si ce sont les embruns ou le soleil qui piquent tes yeux, et les font déborder, mais tu montes, tu grimpes, de plus en plus vite, le coeur qui cogne.
Aujourd’hui, tu as le courage, et tu sais que tu pourras.

Et pourtant, tu hésites soudain, était-ce à cette hauteur qu’il fallait obliquer vers la gauche? Un peu avant, un peu plus loin?

Comme c’est étrange, un voile sur ton sens inné de l’orientation!

Et pourtant, non, tu te rappelles bien, tu passais bien devant ces immeubles, aucun doute, pour redescendre, alors ce doit être encore plus haut!

Aller demander, pour être sûr, tu n’as plus tes vingt ans et chaque pas te coûte à présent, malgrè ton ardeur intérieure, ce moteur qui te pousse, qui te force à aller jusque là.

“Eh, Monsieur, pardon, je voudrais savoir, c’est par où la rue …?”

Avec son fort accent espagnol il te répond: “Tenez la route à droite, c’est toujours à droite, et en haut, celle du milieu”

Tu remercies, tu savais bien, ah mais!

Et tu repars, à grandes emjambées, soutenu, propulsé par tes cannes anglaises, il fait encore jour et tu pourras prendre des photos, il fait beau, les clichés seront bons.
Pourquoi n’as-tu jamais photographié cet endroit? On ne prenait pas beaucoup de photos autrefois, des noirs et blancs, certainement pas sa propre maison, pas de gaspillage pour si peu!

Tu n’as aucune photo, mais aujourd’hui, c’est différent, c’est le jour “J”, tu vas te rattraper! Ces quartiers sont demeurés tels quels, pour un peu, tu croirais voir surgir le papé de son jardin! Ah le papé!

Voilà, c’est l’endroit où il faut quitter la corniche, et obliquer vers la gauche, oui c’est la rue du milieu, il a raison, il y en a une autre, plus à gauche, l’avais-tu remarquée? Aujourd’hui tu la vois, comme pour la première fois! Ils l’ont mise en sens unique descendant, et si tu prenais à droite? ça rejoint la plage, en bas, la petite plage, ta petite plage, ton royaume, tes rochers, pas tout à fait une crique, plus ouvert, mais intime. Ah ces beaux rouleaux, dont tu connais si bien la force et les dangers!
Mais, qu’est-il arrivé? On ne peut plus rejoindre ce repaire! L’entrée du chemin est grillagé, un écriteau: “route coupée, danger d’éboulements”. Comment? plus de baigneurs, plus de pêcheurs d’arapèdes et de moules?
Plus de malencontreux hurlant leur rencontre fortuite avec quelques oursins dans des trous d’eau?
Plus de parasols, plus de serviettes claquant au vent, plus de silhouettes de marsoins dans les vagues? Plus de rires dans les déferlantes?

L’inlassable travail de sape qui détruit les travaux des hommes, la falaise recule donc si vite? Tu l’avais oublié…

Prends une photo, ce n’est plus ta plage, non, mais c’est un lambeau de ton histoire, et toi aussi, un jour, le travail de sape aura raison de toi, tes certitudes, ta destinée, tu ne seras plus rien ni personne!

Le vent se lève, et tu as frais, regagner la bonne direction, retrouver la rue et la maison, son portail rouge, le minuscule jardin, les dépendances, la cour en forme de couloir, revoir les pavillons, celui de la salle de séjour, celui des toilettes, celui de la buanderie, regarder les murs, les fenêtres, les persiennes, voir les traces imprimées par le temps, mesurer décrépitude et restaurations. Monter les deux marches, dire bonjour, entrer, si on te laisse entrer… car tu n’es plus chez toi! Regarder les photos jaunies dans les cadres, parler de tout, de rien, du temps qu’il fait, du temps qui passe, du temps qu’on n’a jamais eu et qu’on ne reverra plus…

Tu entres dans la rue, souviens-toi le numéro, c’était le 8, oui le 8, pas le 1, ni le 3!
ni le 10!
Tu marches les yeux rivés aux plaques, aux portails, à l’entrée de jardinets, tu fais les numéros pairs, puis les numéros impairs, dans un sens, dans l’autre, et, non, tu ne vois pas la maison! Et pourtant, tu reconnais les autres bâtiments, les commerces, rien n’a changé! rien! ils sont toujours aussi lépreux et crasseux: vitrines et murs! incroyable, mais, non, ta maison, non! Ce serait donc la seule de la rue qui ait disparu? que l’on ait osé transformer, rénover ou raser?
Tu parcours ta rue, dans un sens, dans l’autre, oui, tu voyais bien ce hangard en bois en face, donc en te tournant, tu devrais retrouver ta maison! ton petit portail rouge, avec son petit chiffre dessus, le jardinet, la cour, et les pavillons et les dépendances.
Tu fermes les yeux et tu les rouvres. Non, aucun portail, des garages, des garages…
Mais ce n’est pas possible, pourquoi ont-ils choisi cette maison justement pour construire des garages sur l’emplacement? Elle n’était pas si pourrie que ça? Il y en a d’autres bien pire, moins belles, plus délabrées et branlantes dans ce quartier!

Et tu prends des photos quand même, tu sais que ça ne servira à rien, mais tu le fais quand même, tu es vidé, c’est comme si on t’arrachait le coeur: la plage d’abord, la maison ensuite, il ne reste rien ni de ton enfance, ni de ta jeunesse!
Heureusement que tu es fort! tu n’aurais jamais dû revenir, cette découverte ravage ton cerveau, tu n’as plus l’impression d’être vraiment toi, quelque chose se déchire, tes parents, tes amis, tes amours, ton passé, un rêve à jamais perdu? Qui es-tu?
Semblable à l’enfadat, celui qui entra dans la colline un soir de sabat, pour en ressortit quelque 100 ans plus tard, de retour au village, il ne trouve que ruines, et non loin de l’église, la sépulture de sa femme, de ses enfants, et sur une plaque rongée par l’érosion, son propre nom: “ici repose en paix…”

Non! ce n’est pas pour toi!

Tu marches dans la rue, ta rue, et tu reconnais tout hors cet emplacement dépourvu de sens et d’origine, et tu reconnais tout, ici tu as vécu, respiré, pleuré, aimé, redouté, espéré.
Ton univers vit en ton être, il est là, ferme les yeux, respire, écoute, sens la caresse du vent du soir, perds ton regard dans les brumes violacées qui montent sur les pentes des monts, au loin, souris à l’enfant que tu étais et que tu es toujours. Souris à ta vie qui te colle à la peau et au cerveau!

Dans ta poche, tu serres ton appareil photo, tes trésors sur une carte mémoire.

Oui, tu rentres d’un pas décidé, d’un pas léger. C’est décidé, virtuellement, tu vas ressusciter ton univers, intact from your remembers. Tu n’es qu’un étranger, une étrangère, sur cette terre, et pourtant…coeur battant!

Jubilacion, lundi 29 octobre à 01h58

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