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Extramadura
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28 septembre 2005

Faux numéro

Il y a quelques jours, téléphone, au moment où je devais aller répéter ma musique!
Non c'était pas Maider pour une fois...Mais Deb, une cousine de Marseille. On ne s'était pas parlé depuis un siècle au moins. Quelle impulsion lui a fait composer mon numéro? Eh bien, elle s'est trompée de ligne sur son agenda, ça arrive!
J'étais heureuse de lui parler quelques minutes. Le passé heureusement n'embrumait plus mon esprit. Elle, un peu génée au départ,  m'a parlé plus longuement que la politesse ne l'eut exigée.

Elle m'a donné quelques nouvelles: son père est décédé, sa mère vit encore, perclue d'arthrose et d'amertumes. Son frère et elle sont mariés, avec des enfants, et bientôt des petits enfants.

Elle a connu beaucoup d'épreuves. Dans un milieu comme le sien, le contraire eut été franchement miraculeux.

Actuellement, son beau-père est au plus mal, et son mari parti à son chevet. Il a été transporté brusquement à l'hôpital, après une hémoragie importante, placé en réanimation, changé d'établissement. Tension très faible. Certains organes ne fonctionnent plus. Etat critique en bref. Son mari est très perturbé, désarçonné par cette maladie soudaine, c'est Deb qui a donné des coups de téléphone et a dû l'envoyer auprès de son père. Il était anéanti par l'évènement et l'angoisse sourde.
Un homme pourtant bien campé dans le réel et les responsabilités, qui n'a jamais lésiné pour s'occuper d'autrui. Comme quoi, lorsqu'on est confronté à la possible disparition d'un parent très proche, on redevient petit enfant, perdu dans la foule d'une grande artère de cité tentaculaire.

Elle me raconte qu'elle est handicapée motrice depuis plusieurs années, suite à un accident de travail qui n'a pas été reconnu comme tel, donc elle se trouve avec la cotorep, sans autre indemnités, son mari a été licencié il y a déjà quelques temps et ne trouve pas d'embauche ferme, il vit de travaux temporaires. J'étais loin de penser à une situation pareille pour elle. C'était la plus belle et la plus enjouée de nous tous! Sociable, pleine de talents et de vie.
Je lui demande comment elle vit son handicap, elle me dit :
-Mal! Personne ne prend la peine de venir vraiment me visiter, j' habite dans un appart au 3ème étage, dans un immeuble sans ascenseurs, ça existe encore, oui! Mon mari me sort lorsqu'il est libre, le week-end, une ou deux heures. Mes enfants demeurent loin, et je n'ose pas quémander et me plaindre. J'ai une aide ménagère une fois par semaine, deux heures pour m'aider au plus gros du ménage.  En été, il n'y en a plus assez de disponibles avec les congès, et je dois me contenter d'une tous les quinze jours.
-Et qu'estce que tu fais chez toi? Tu as internet?
-Ne me parle pas de ça, non! J'ai toujours aimé lire, et puis j'écris à mes neveux et nièces, à mes enfants (qui ne me répondent que très parcimonieusement). Je tricote, je brode, je peints sur assiettes de porceleine et je crée des cartes postales pour les voeux , différentes occasions, les fêtes et les anniversaires.
-Et tu les vends?
-Non, c'est très "artisanal", je n'en ferai jamais commerce, je les offre et les envoie à mon entourage, j'aime faire plaisir.

Elle a connu un long désert dans sa vie de femme, son mari est un brave garçon, mais il la regardait comme une handicapée, elle a fini par se voir à travers ses yeux. Etre seulement soigée, nourrie, blanchie, mais plus jamais désirée et comblée. Une automate brisée... Je me souviens, c'était une fille assez sensuelle, ça doit lui peser!
"Et alors, comment es-tu sortie sortie du désert Déborah?" et soudain je me prends d'une tendresse folle pour elle!
Si je l'avais à côté de moi, je crois que je la serrerais dans mes bras et la couvrirais de baisers.
"C'est un copain de mon frère, et de mon mari, un veuf, deux fois veuf! Yussef, il s'appelle. Il m'a regardée comme une femme, il m'a aimée sagement, du regard seulement, il m'a appris que j'étais belle et désirable, je me suis transformée sous son regard comme un papillon sortant de la chrysalide. Il encourageait mes progrès, il m'a accompagnée dans certaines démarches, avec la bénédiction de mon mari. Ils se connaissent bien tous: mon mari a confiance en lui et en moi.
-Rare ça!
-Oui! J'ai de la chance! Moi j'ai appris à le connaître, et il m'a appris à me respecter. Une grande tendresse mais une grande droiture! Comme un grand frère. Il a remarqué que je m'accrochais à des images mentales très preignantes, liées à des lieux ou certaines circonstances, alors il a imaginé un "thérapie naturelle et intuitive" rien que pour moi: partout où il savait que j'avais vécu une expérience mauvaise ou difficile, il m'a amené, et il m'a tenu la main, il a essuyé mes larmes, il a accepté mes peurs, il m'a expliqué que ça pouvait être autrement, qu'on pouvait le vivre autrement et comment. Peu à peu, les images qu'il m'a données se sont substituées à celles que j'avais gardées. Le bonheur ou le possible ont remplacé la misère et le mal. Et je suis en phase de renaissance, de reconstruction, si tu veux, je redeviens la femme de mon époux. Une femme dans la société.
-Mais c'est une merveille ça!
-Tu peux le dire, sans lui, je ne sais pas où j'en serais, à moment donné, je n'avais plus envie de vivre!

Les larmes roulent toutes seules sur mes joues, Yussef, vraiment, c'est que je le connais aussi!
Je ne sais plus que dire tellement certains faits me renvoient à ma propre vie actuelle, me l'expliquent et éclairent mes expériences récentes. J'ai la gorge sérrée et le coeur battant.

"Déborah, je te souhaite encore plein d'autres bonheurs, d'autres découvertes, d'autres progrès, je te remercie de m'avoir dit ça, je te rappellerai plus tard, lorsque je serai moins dans la tourmente! Je te raconterai aussi pour moi! Je vais penser à ton beau-père, tu sais le mien ne va pas fort non plus! Je t'embrasse. A bientôt, et...salue Yussef de ma part!"

Bénis soient les téléphones et les faux numéros!

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