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Extramadura
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7 mars 2005

La morts des autres

Episode 1:

Je fonce dans ma voiture, je suis déjà en retard!
J'espère rattraper sur la route un peu de ce temps que j'ai perdu
pour ne pas arriver trop en retard au boulot.
Le temps est avec moi, beau, clair; les pneus adhèrent bien à la route.
Je me prends à espérer. Aucune excuse à inventer, je serai donc dans les temps!
A la hauteur de ST Izaires, visible de très loin, un accident? des travaux? un attroupement? une manif?
La route est bel et bien coupée. C'était pas mon jour!
Inutile de rebrousser chemin, les déviations, s'il y en a, m'empêcheraient d'arriver à temps.
Je ralentis et gare prudemment mon véhicule sur le bas côté. Je descends "aux nouvelles".
C'est une femme âgée, sexagénaire vu l'aspect ficelle de ses cheveux délavés, et la facture à l'ancienne de son  tablier de coton marron.
Elle a eu plusieurs malaises déjà, on l'assiste pour traverser la route, là, on la ramène chez elle, à petits pas.
En effet, danger avec cette ligne droite en bas de côte! Personne ne pense à ralentir ou observer la limite à 50!
Apparement, tout le village l'accompagne et la soutient du regard.
J'emboite le pas au cortège et penètre dans l'habitation.
On installe la "dame" dans un fauteuil, elle sourit, on voit qu'elle est très lasse.
C'est comme dans certains films: l'aïeule va mourir, elle le sait, et  encourage du regard l'entourage.
Je demande poliment à téléphoner pour avertir au boulot que je serai VRAIMENT en retard.
Les commères discutent tout en bossant dur autour. Chacune armée qui d'un outil ou d'un ustensile, s'affaire à redonner un semblant d'ordre et de calme à ce logis dévasté par la ruine, le désordre et la saleté.
Elles pestent contre la flambée des loyers (dans un petit bourg pareil? qui l'eut cru! c'est vrai que c'est presque la banlieue, qualité de vie en plus!)  : "faut faire quelque chose, ça peut plus durer!". La colère gronde!
Naïve je risque:"Alors vous allez faire un collectif et protester!"
Silence de mort, puis l'une se récrie: "Vous êtes révolutionnaire! Vous êtes TOUT le temps COMME ça ?"
Etrange? A 50 kilomètres de chez moi, cette mentalité! Capables de solidarité ponctuelle et efficace, mais pas d'action durable et concertée. OUI, sans doute, quelque part je dois faire partie de la race (?) des Révolutionnaires, en tous cas des révoltés!.
Je reprends ma voiture.
Longtemps je garde cette femme et son entourage présents à ma mémoire, et puis j'oublie...

Episode 2:

Un soir, alors que je rentre du boulot, un attroupement bien plus conséquent à la hauteur de St Izaires.
Décidemment... Là, j'ai davantage le temps, sans hâte, je gare ma voiture, et je vais aux nouvelles.
Tout le village est concentré dans la rue! Une ambulance du SAMU à la hauteur de LA maison, les éclats bleutés du girophare, mon coeur se serre, pourvu que...
Deux pompiers évacuent la civière,  oui, inerte, beau profil de marbre apaisé, le même tablier à rayures marron, les mains pendantes., c'est ELLE...
Les voisins, par petits groupes, sanglottent, reniflent, ou toussottent, les yeux rivés à l'ambulance ou au goudron.
Certains commentent interminablement à voix basse, comme si les flots de paroles pouvaient faire reculer ou conjurer l'inacceptable évidence.
Je les reconnais presque tous, ils étaient là le jour de notre rencontre fortuite, je les revois s'affairant, lançant leurs boutades et leurs hauts-cris.
Ils ne me reconnaissent pas, ne  remarquent pas l'incongruité de ma présence soudaine parmis eux, murés dans leur chagrin, je ne suis que... la passante...
Bien loin de rebrousser chemin pour retourner dans ma voiture, je continue, scrutant les visages, en quête de celui ou celle qui saura accueillir mon humaine sollicitude, mon trop-plein d'amour blessé.
J'en repère UN, très beau visage de femme mûre et sereine, les yeux clos, elle ... prie?
Je m'avance et relève son visage dans mes mains, je caresse plutôt je masse doucement ses joues et l'embrasse.
Elle me regarde étonnée : "Vous la connaîssiez?"
"Non, mais je me passais le jour où vous l'avez réinstallée chez elle, j'ai pris part à vos soucis, alors aujourd'hui, je prends part à votre chagrin!" Et j'ajoute, je ne sais pourquoi en la regardant droit dans les yeux : "Rien n'arrive par hasard"
Elle acquiesse songeuse: "Alors tout s'explique!"
Je les quitte, comme dans un rêve, j'ai l'impression de "flotter", je ne sens plus mes jambes.
Retour, JS Bach par hasard?...sur FM "Aus tiefer Not, Ich rufe zur dir..."

(le silence des agnelles-7Mars 2005)

                                               (à M.L.)

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